Déjà secoués par des émeutes de la faim en 2008, les pays en développement sont frappés de plein fouet par la crise économique. Au G20 de Londres le 2 avril, des mesures de soutien, chiffrées à 50 milliards de dollars (37,9 milliards d'euros) pour les seuls pays dits "à faible revenu", ont été annoncées. Leur mise en oeuvre devait être approuvée par les réunions du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (25-26 avril), puis des Banques asiatique (2-5 mai) et africaine (13-14 mai) de développement. Mais le défi est immense. Alors que 300 millions de personnes avaient pu se hisser au-dessus du seuil de pauvreté depuis 1997 - année de la crise asiatique -, "environ 60 % des gains dans la réduction de la pauvreté mondiale seront probablement effacés entre 2008 et 2009", a jugé en février la Commission pour le développement social des Nations unies.
Chute des investissements étrangers, baisse des transferts des migrants, plongeon des recettes d'exportation de matières premières, fuite des capitaux, tensions sur les taux d'intérêt et de change : la diffusion de la crise est multiforme. Faute de stocks, les pays pauvres restent aussi vulnérables aux tensions sur les prix alimentaires.
Les prévisions de croissance des pays en développement, moins mauvaises que celles des pays développés, ne doivent pas faire illusion. En excluant la Chine et l'Inde, l'évolution de leur produit intérieur brut serait ramenée à 0 en 2009 après + 4,6 % en 2008, selon la Banque mondiale. En Afrique, "les chiffres de croissance vont être trompeurs en 2009", souligne Lionel Zinsou, associé de la société de capital-investissement PAI Partners et conseiller spécial du président de la République du Bénin, Boni Yayi.
L'activité restera globalement atone en Afrique en 2009 mais l'" acquis de croissance " statistique de 2008 va laisser apparaître une hausse de 2 % à 3 %. Laquelle, enraisondelacroissancedémographique, correspondraàunestagnation du revenu par habitant… "Compte tenu des inégalités, cette stagnation fait retomber des dizaines de millions de personnes en Afrique sous le seuil de pauvreté", alerte M. Zinsou, également président du conseil d'orientation du think tank Cap Afrique.
En 2009, le Bureau international du travail (BIT) prévoit 38 millions de chômeurs supplémentaires dans lemondeet 75 millions de " travailleurs pauvres " (gagnant moins de 2 dollars par jour), dont plus des deux tiers en Asie du Sud et en Afriquesubsaharienne. Or les dépenses sociales des pays en développement ne représentent que 2,8 % de leur PIB au sud du Sahara et 2,2 % dans la zone Asie-Pacifique, à comparer à 14,2 % dans les pays développés. " Quand la Zambie perd 300 000 emplois dans les mines en six mois, ou la Côte d'Ivoire 20 000 emplois dans la filière bois, il n'y a aucune indemnité, aucun emploi de substitution, aucune formation, aucune couverture sociale ", déplore-t-il.
L'état d'urgence s'estdoncimposé au G20 de Londres. " Les moyens accrus du FMI et les réformes qu'il a proposées pour attribuer plus facilementet de façon moins stigmatisante des créditsaux pays émergents en difficulté devraient avoir des effets rapides ", prévoit Laurence Boone, chef économiste de Barclays Capital enFrance.
" C'est la première fois que le FMI et la Banque mondiale admettent que les Etats africains vont légitimement pouvoir intervenir pour une relance de grande ampleur, explique M. Zinsou. C'est la fin du “consensus de Washington” " prôné jusqu'ici, selon lequel le marché pouvait tout et l'Etat était incapable de soutenir efficacement la croissance, ce qui justifiait des programmes d'ajustement budgétaire drastiques. Il estime que l'Afrique pourrait mobiliser 50 milliards de dollars, soit 4 %de son PIB, via le FMI, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement.
Mais il s'inquiète de la volonté effective des Etats africains d'utiliser ces financements pour soutenir l'activité domestique. L'Afrique serait trop marquée par le syndrome du " bon élève " du FMI, alors que le professeur a changé de doctrine.
Des aides aux secteurs stratégiques locaux comme le bois, les mines ou les ports, y seraient encore considérées comme un luxe de pays riches. Face à la chute de leurs recettes fiscales, notamment douanières, beaucoup d'Etats au sud du Sahara se sont jusqu'ici limités " à laisser augmenter leur dette vis-à-vis des entreprises qui, subissant déjà la baisse de la demande et des problèmes de liquidités, licencient du coup à tout-va ", explique M. Zinsou.
A l'inverse, les Etats développés s'endettent massivement, leurs instituts d'émission refinancent les banques, voire la dette publique. De grands pays émergents comme la Chine ont mis en place d'imposants plans de relance. L'Afrique devrait, elle aussi, prendre des mesures exceptionnelles. Ses pays pétroliers, qui ont accumulé d'importantes réserves de change, pourraient même faire des avances aux autres Etats.
Enfin, les engagements multilatéraux du G20 ne doivent pas s'accompagner d'une baisse de l'aide : "Pour les pays les plus pauvres, il est crucial que les donateurs accordent une aide supplémentaire afin de ne pas compromettre des gains importants dans la lutte contre la pauvreté et dans la stabilisation financière", ont prévenu Olivier Blanchard et José Viñals, directeurs des départements d'études et des marchés du FMI, le 22 avril.
Le G20 s'est certes engagé à respecter les promesses d'augmentation de l'aide faites au sommet de Gleneagles en 2005, mais les organisations humanitaires soulignent le retard pris. Selon la fédération Concord, il n'y a "pas d'argent frais pour les pauvres dans la stratégie de l'Union européenne pour lutter contre la crise" annoncée... une semaine après la réunion de Londres.