Et après ? Pour la troisième fois en quatre mois, les syndicats mettront vendredi dans la rue un nombre impressionnant de salariés. Avec 283 cortèges dans toute la France et une manifestation parisienne qui devrait battre des records, le succès de cette troisième journée d’action ne fait guère de doute. Pourtant, cette mobilisation croissante complique un peu plus la stratégie des organisations syndicales, qui jouent l’union sacrée face à la crise économique, mais sont de plus en plus tiraillées entre réalistes et radicaux.
Trotskistes. Lundi, les huit de l’intersyndicale (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC, Unsa, Solidaires, FSU) se sont retrouvés au siège de Force ouvrière pour définir les revendications communes. Sur ce chapitre, pas de surprise : ce sont l’emploi, le pouvoir d’achat et la relance économique. Mais pour la suite des événements, le scénario est plus complexe. Aussi les huit organisations syndicales ont-elles décidé… de se revoir le 4 mai «pour débattre des objectifs, des modalités et du calendrier des prochaines initiatives».
Dans le camp des radicaux, on trouve Solidaires, la FSU et Force ouvrière, qui verraient bien un appel à la grève générale avant l’été. Une stratégie inspirée par les militants trotskistes du Nouveau Parti anticapitaliste d’Olivier Besancenot (nombreux à Solidaires, dans les syndicats SUD), de Lutte ouvrière et du Parti ouvrier indépendant, l’ancien Parti des travailleurs (à FO et parfois à la CGT), mais aussi du PCF et du Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon, influents à la FSU.
Cette résurgence du vieux mythe de la grève générale a le don d’exaspérer les leaders du bloc «réaliste» au sein de l’intersyndicale, rassemblé derrière un front CGT-CFDT plus uni que jamais. Le fait que Force ouvrière s’accroche au mot d’ordre de grève générale les irrite particulièrement. «Même en mai 1968, rappelle un responsable CGT, on n’a pas appelé à la grève générale. Et sur le terrain, dans les boîtes, on aimerait bien les voir un peu plus les gars de FO. Là où ils sont encore présents, c’est pas des foudres de guerre.» Confidences «off», bien entendu. L’heure est à l’unité syndicale.
Maladresse calculée. De leur côté, les militants «radicaux» critiquent de plus en plus ouvertement la CGT et la CFDT, dont le gouvernement souligne avec une maladresse calculée «le sens des responsabilités», en l’opposant aux débordements réels ou supposés observés dans les conflits locaux, qu’il s’agisse des séquestrations de dirigeants ou des dégradations de la sous-préfecture de Compiègne.
«Chacun en réalité sait très bien que le premier qui quitte l’intersyndicale apparaîtra comme un briseur de l’unité d’action», observe un responsable de l’Unsa : «On est donc condamnés à s’entendre.» La seule fenêtre de lancement pour une prochaine action commune est la deuxième quinzaine de juin. A la mi-mai, en effet, ont lieu les quatre grandes manifestations européennes auxquelles les quatre syndicats membres de la Confédération européenne des syndicats (CGT, CFDT, FO et Unsa) se doivent de participer activement. Le 7 juin ont lieu les élections européennes. Reste trois semaines avant les vacances d’été.
Quant à la nature de la mobilisation, elle pose aussi problème. Le record que ce 1er Mai devrait constituer sera difficile à battre. «Il nous faut trouver une forme d’action qui ne permette pas la comparaison», confiait un dirigeant de la CFDT. Une équation difficile à résoudre alors que le bloc des «radicaux» pourra continuer à réclamer un appel à grève générale.