Frédéric Lordon, directeur de recherche au CNRS
« L’hypothèse de fermer la Bourse doit au moins être mise sur la table »
Cette crise n’est pas que financière, c’est « l’expression d’une crise beaucoup plus globale de la configuration présente du capitalisme », selon Frédéric Lordon. Une sortie rapide ne lui paraît guère envisageable puisque « les causes originelles, à savoir les pertes initiales sur les crédits hypothécaires, sont loin d’être réglées ». Les plans extrêmement coûteux mis en place par les États font même craindre à l’économiste que la « crise des finances privées ne se transforme en crise des finances publiques ». Il remarque qu’à aucun moment les États n’ont envisagé la création « d’une caisse de refinancement de la dette hypothécaire des ménages ». « Une caisse qui aurait pour mission de subventionner les ménages pour leur permettre de payer leurs dettes immobilières ». En clair, les États s’engageraient à utiliser les milliards d’euros ou de dollars qu’ils mettent aujourd’hui sur la table pour permettre aux ménages de payer leurs dettes et de pouvoir rester dans leur logement. Une telle mesure éviterait « le choc monumental » infligé aux finances publiques puisqu’il s’agirait de rembourser les traites au rythme classique d’un prêt immobilier, soit sur vingt ou trente ans. Autre avantage : « La restauration des ménages dans leur situation d’emprunteur rétablit aussitôt le paiement de la dette hypothécaire et ramène les titres dépréciés au bilan des banques très près de leur valeur initiale.
Cette revalorisation des titres dérivés éteint instantanément les pertes des titres bancaires et reconstitue aussitôt leurs bases de capitaux propres, produisant le déblocage des marchés financiers », explique le chercheur. Une solution pour sauver les ménages qui sauveraient les banques. Mais cela ne suffit pas. Toute mesure de sauvetage implique des contreparties qui sont « tragiquement absentes des plans actuels », déplore Frédéric Lordon. La première condition : « une refonte radicale des structures de la finance ». Car « le contrôle du risque est une chimère ». « L’incapacité du système à maîtriser ses risques n’est pas accidentelle ou transitoire, c’est une incapacité essentielle, ontologique », tranche-t-il, et lorsqu’une bulle financière est formée, « il est trop tard et le piège se referme sur les pouvoirs publics ». Outre une série de mesures comme la nationalisation (européenne) des entreprises de Bourse, la détitrisation, la limitation du recours au levier de l’endettement, la régulation impérative de tous les acteurs non bancaires de la finance de marché, ou encore la limitation des marges de bénéfice des actionnaires, le chercheur va aujourd’hui plus loin envisageant la « démarchéisation partielle ou totale du financement de l’économie ». En effet, selon l’économiste, « le financement de l’économie peut procéder très efficacement du recyclage en crédit, de dépôts et de livrets d’épargne à taux garantis ».
Pour lui, « l’hypothèse de fermer la Bourse » doit « au moins être mise sur la table », puisque « les actionnaires pompent aujourd’hui davantage de cash aux entreprises sous la forme de dividendes ou de rachat d’actions qu’ils ne leur en apportent ».