Variables financières et décision d’investissement
L’investissement sera décidé si la valeur totale des recettes futures est au moins égale et normalement supérieure à la valeur totale des dépenses occasionnées par l’acquisistion et l’utilisation de l’équipement.
Analyse
Une recette future n’a pas la même valeur qu’une recette immédiate. Les économistes considèrent à juste titre que les agents économiques ont une "préférence pour le présent". Cette préférence peut s’expliquer simplement par l’incertitude introduite par le temps qui sépare deux évènements. Aujourd’hui est certain demain ne l’est pas. Percevoir 1000 euros aujourd’hui est préférable à la promesse du versement de 1000 euros dans un an. Celui qui accepte d’être payer plus tard demande une compensation : c’est le taux d’intérêt.Si le taux d’intérêt annuel demandé par le préteur et accepté par l’emprunteur est de 10% cela veut dire que l’emprunteur et le préteur considèrent que 1000 euros tout de suite sont équivalents à 1100 euros dans un an.
La valeur actuelle d’une somme de 1100 euros versée dans un an est 1000 euros quand le taux d’intérêt est 10%.
1000 = 1100 / (1 + 10%) donc en utilisant une écriture symbolique dans laquelle "vaSn" est la valeur actuelle d’une somme versée l’année n
vaS1 = S1 / (1 + 10%)
en généralisant :
vaSn = Sn / (1 + r)n
Un investissement procurera un supplément de recettes pendant plusieurs années. Pour mesurer à la valeur d’aujourd’hui le supplément total de recettes espéré il faut faire la somme des valeurs actuelles de ces recettes futures Rn. De la même manière il faut prendre en compte la totalité des coûts engendrés à chaque période par l’utilisation de l’équipement Cn. Enfin il ne faut pas oublier que l’investissement passe par une dépense d’acquisition immédiate I
Si l’investissement correspond à une dépense initiale I
Si les recettes annuelles et les coûts annuels attendus sont respectivement Rt et Ct
Si la durée de vie de l’équipement est n (t varie de 0 à n)
Si le taux d’intérêt est r
Alors la valeur actualisée nette (VAN) est :
Jusqu’à présent on a considéré que le taux d’intérêt permettait de mesurer la préférence pour le présent. C’est une simplification qu’l faut corriger.
- Il n’y a pas un taux d’intérêt mais plusieurs en fonction du terme
- Le taux d’intérêt utilisé dans la formule précédente est en réalité une anticipation de taux d’intérêt
- Le taux d’intérêt retenu dans ce calcul doit intégrer la prévision des mouvements de prix, il doit être exprimé en terme réel
- Il a une dimension subjective car c’est une appréciation du risque, il varie donc d’un décideur à un autre en fonction de son aversion plus ou moins grande pour le risque.
- Le taux d’actualisation est d’autant plus élevé que l’incertitude est plus grande.
- Plus le taux d’actualisation est élevé plus la valeur actuelle d’une recette future est faible.
La décision d’investissement à un caractère irréversible. |
Au lieu de rechercher la VAN on cherche la valeur minimale que doit atteindre le rendement d’un investissement pour être rentable. On compare ensuite le TIR au taux d’intérêt sur les marchés financiers.
Si le TIR est supérieur au taux d’intérêt :
- l’investissement est plus rentable qu’un placement
- l’investissement peut être financé par un emprunt.
- il vaut mieux placer son argent que l’investir
- il ne faut pas emprunter pour investir.
- le coût du financement par emprunt qui intervient uniquement quand il n’y a pas autofinancement
- le coût d’opportunité qui intervient dans tous les cas (investir c’est renoncer au gain procuré par le placement financier).
Il y a donc une relation entre taux d’intérêt et niveau de l’investissement. Ici avec un taux d’intérêt de 11% seuls les 4 premiers projets sont rentables alors que si le taux d’intérêt descend à 9% le cinquième projet devient réalisable.
| Le raisonnement précédent est exactement celui tenu par Keynes dans la Théorie générale de l’emploi de l’intérêt et de la monnaie lorsqu’il utilise le concept d’efficacité marginale du capital : celle-ci est "le taux d’escompte qui, appliqué à la série d’annuités constituées par les rendements escomptés de ce capital pendant son existence entière, rend la valeur actuelle des annuités égale au prix d’offre de ce capital" (donc, le TIR puisque le prix d’offre du capital c’est son "coût de remplacement") [page 150 de la traduction française Payot 1968]. |
L’analyse keynésienne des déterminants de l’investissement est présentée dans cet article
l’investissement diminue quand le taux d’intérêt augmente
- Investir c’est choisir d’utiliser du capital plutôt que du travail
- La décision est prise ne comparant le coût du travail et du capital et leurs productivités respectives
- Pour une productivité et un coût du travail donnés, l’investissement améliore les profits tant que la productivité du capital est supérieure à son coût c’est à dire au prix qu’il faut payer pour accéder aux ressources financières : le taux d’intérêt
- Toutes choses égales d’ailleurs l’investissement diminue quand le taux d’intérêt augmente.
Analyse néoclassique | Analyse keynésienne |
On compare le taux d’intérêt et la productivité marginale du capital | On compare le taux d’intérêt et l’efficacité marginale du capital |
le taux d’intérêt est le prix du capital : il est obtenu par la confrontation de l’offre et de la demande de fonds prétables (épargne et demande de capital) la productivité du capital est une donnée technique objective, et relativement stable - elle mesure l’efficacité productive des équipements | le taux d’intérêt est le prix de la monnaie : il est déterminé par la confrontation de l’offre et de la demande de monnaie - l’offre de monnaie dépend des autorités monétaires et la demande dépend du niveau de l’activité (pour les transactions) et de la préférence pour la liquidité (spéculation) l’efficacité marginale du capital est une donnée subjective (anticipation-incertitude-état de l’opinion) instable |
L’analyse keynésienne, curieusement, ne fait pas beaucoup de place au rôle de la demande dans la détermination du niveau de l’investissement. Il n’y a pas chez Keynes de référence à un mécanisme du type accélérateur. Le livre IV "L’incitation à investir" consacre une trentaine de pages à "L’efficacité marginale du capital" (chapitre XI) et à "L’état de la prévision à long terme" (chapitre XII) avant d’offrir 90 pages à des développements consacrés au taux d’intérêt et à la monnaie (chapitre XIII à XVIII) en concluant dans ce dernier chapitre par un "Nouvel exposé de la théorie générale".
Ces indications soulignent un des paradoxes de l’analyse keynésienne : le rôle de la demande est très souvent transcendé par les anticipations. Ici, pour l’investissement, après avoir montré comment la comparaison de l’efficacité marginale du capital et du taux d’intérêt commande la décision d’investissement, Keynes développe longuement les difficultés rencontrées pour apprécier cette efficacité marginale du capital et de ce fait, la grande incertitude qui accompagne ce choix.
Il introduit une réflexion liée à sa connaissance des marchés financiers. S’il est difficile d’évaluer de manière isolée et répétée le "rendement escompté d’un investissement" il est parfois possible de se retourner vers le marché boursier qui "tous les jours réévalue un grand nombre d’investissements, et ses réévaluations fournissent à chaque individu une occasion fréquente de réviser ses engagements" et, si elles sont "surtout destinées à faciliter les transferts des capitaux anciens d’un individu à l’autre, exercent nécessairement une influence décisive sur le montant de l’investissement courant. il serait en effet absurde de créer une entreprise nouvelle d’un certain coût si l’on peut acquérir une entreprise identique à un prix moindre ; inversement on est incité à dépenser dans une affaire nouvelle une somme qui peut sembler extravagante, si cette affaire peut être cédée sur le marché avec un bénéfice immédiat" (page 166 de l’édition Payot 1968).
Ainsi les cours boursiers auraient une influence dans la décisison d’investissement, parce qu’ils sont une information sur la valeur du résultat attendu de l’investissement.
| Cette idée est reprise en 1969 par James Tobin (1918 - 2002) : l’investissement sera réalisé s’il augmente la valeur de la firme au delà du coût supporté pour l’acquérir. Acheter un équipement qui coûte 1000 euros est rentable si la valeur de l’entreprise augment de plus de 1000 euros. Il faut donc comparer la valeur de l’entreprise au coût du capital. La valeur de l’entreprise "V" est fournie par sa valeur boursière (cours de l’action x nombre d’actions) augmentée de ses dettes obligataires (cours des obligations x nombre d’obligations). Le coût du capital "K" est mesuré par sa valeur de remplacement. |
I = f(q - 1)
I augmente quand q > 1 et diminue quand q < 1 la forme de la fonction traduit la sensibilité des marchés et le comportement des investisseurs. Si Tobin a raison, l’investissement doit suivre l’évolution du coefficient "q".
En principe, le Q de Tobin résume toute l’information utile pour la prise de décision : la rentabilité, le taux d’intérêt et les anticipations
Puisque les marchés valorisent les entreprises en actualisant leurs recettes futures attendues à l’aide du taux d’intérêt réel ; une hausse des taux d’intérêt réduit la valeur actualisée de l’entreprise, et, de ce fait, le cours actuel de ses actions. La variation du taux d’intérêt modifie ainsi la valeur du ratio Q.
Les anticipations des agents économiques sont contenues dans les cours boursiers qui fluctuent en fonction de la synthèse qu’ils effectuent de toute l’information disponible.
Mais le Q de Tobin n’est calculable que pour les entreprises cotées ce qui conduit à expliquer l’investissement de l’ensemble des sociétés à partir d’un ratio qui ne concerne qu’un petit nombre d’entre elles. On peut aussi s’interroger sur la pertinence de cet outil dans un climat d’instabilité des cours provoquée par des phénomènes spéculatifs.
| L’économiste français Edmond Malinvaud (1923-) prolonge cette remarque en faisant observer au début des années 80 (Essai sur la théorie du chômage) qu’un investissement est profitable s’il rapporte plus qu’un placement financier du même montant. La profitabilité [1] évalue une rentabilité anticipée, à partir de la différence entre le taux de profit (rapport du profit à la valeur du capital installé) et le taux d’intérêt réel de long terme (celui qui rémunère les emprunts d’État par exemple). Profitabilité = taux de profit net - taux d’intérêt réel de long terme. |
La fonction d’investissement de Malinvaud s’écrit :
I = f(pro - r)
Il y a un lien logique entre la profitabilité de Malinvaud et le "q" de Tobin
Si l’investissement rapporte tous les ans le profit moyen PRO, on peut en déduire la valeur de l’entreprise qui permet de dégager ce revenu annuel. Il suffit de dire que le profit moyen perçu chaque année PRO correspond au rendement du placement, au taux d’intérêt en vigueur, d’une somme égale à la valeur de l’entreprise. PRO = V.r
V = PRO / r
Le profit PRO est un revenu pouvant être traité comme celui d’un capital placé à un taux d’intérêt r
I = f (pro - r)
I = f [r (q - 1)]
La fonction d’investissement de Malinvaud est très proche de celle de Tobin.
Si pro = PRO / K et si q = V / K alors pro - r = r(q - 1)
Pour un taux d’intérêt réel à long terme donné l’investissement augmente quand le "q" de Tobin augmente au delà de 1....
La profitabilité interne est la somme actualisée des flux de profits futurs comparée au coût du capital. Ce dernier est mesuré par le coût d’opportunité des projets lorsque le financement est interne et par le coût du financement dans les autres cas.
La profitabilité de marché est mesurée par le q de Tobin.
La première est difficilement observable mais traduit des comportements d’entreprise, la seconde est observable mais correspond à une valeur moyenne extérieure à l’entreprise. La relation à la profitabilité de marché a déjà été évoquée en revanche le rôle de la profitabilité interne mérite d’être précisé.
Les conclusions des études empiriques sont les suivantes dans ce domaine.
La profitabilité interne s’est dégradée sous l’effet de la chute des profits lors des chocs pétroliers et elle a atteint son niveau le plus bas en 1982-1983 période de taux d’intérêt réels très élevés. Elle s’est ensuite redressée jusqu’en 1989. La relation de long terme entre investissement et profitabilité interne est assez nette en France en Allemagne et au Japon, elle est plus discutable aux États-Unis.
Tests économétriques
Les tests économétriques des fonctions d’investissement sont très nombreux et ils montrent :le rôle privilégié du financement interne surtout en période de stagnation où l’accélérateur ne joue pas un rôle dynamique ; dans ce type de conjoncture, la rationalisation et la reconstitutions des marges d’autofinancement prennent le dessus
l’interdépendance des décisions financières et réelles (contrairement aux conclusions de Modigliani-Miller), la FBCF étant un moyen parmi d’autres d’utiliser la marge d’autofinancement, il n’est pas toujours celui qui est retenu (l’entreprise peut préférer distribuer des dividendes, se désendetter, constituer des réserves, faire des placements spéculatifs, choisir la croissance externe..).
Dans le rapport sur les comptes de la Nation pour 1993, l’INSEE propose une mise au point sur les déterminants de l’investissement productif. La discussion porte sur l’équation retenue dans le modèle Amadeus de l’INSEE
Dans cette équation I est l’investissement total en volume, K est le stock de capital productif, Q est la valeur ajoutée, TU le taux d’utilisation prenant soit la valeur historique moyenne soit sa valeur annuelle (t indique la date pour toutes les variables). Ce modèle est valable pour la période 1975-1991 mais il n’explique qu’en partie la baisse des investissements de 1990 à 1993. Sur cette dernière période la contribution du taux de profit apparaît négligeable. Les résultats sont nettement améliorés lorsqu’on peut distinguer les investissements de capacité des investissements de modernisation. Ces derniers apparaissent plus sensibles aux considérations de profitabilité.
Le modèle MIMOSA (Modèle intégré mondial pour la simulation et pour l’analyse) développé par les chercheurs de l’OFCE et du CEPII de 1986 à 1990 a fait l’objet de plusieurs réestimation. Celle de 1996 tient compte des résultats des observations faites sur la période la plus récente [2]. Le modèle couvre dix-huit zones et traite de manière complète 6 grands pays (États-Unis, Japon, Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni). Les modèles des grands pays sont décomposés en quatre secteurs institutionnels et cinq branches (sauf pour le Japon et les États-Unis qui comportent seulement 3 branches). Pour la branche des industries manufacturières, la modélisation de l’investissement productif est complétée par une estimation de la capacité de production. La demande d’équipements productifs est déduite de la maximisation intertemporelle du profit d’une entreprise représentative sous la contrainte de débouchés. La fonction de production retenue est “putty-clay” (substitution entre facteurs avant production complémentarité pendant la production). Cela veut dire que l’entreprise choisit la technique de production (donc son coefficient marginal de capital) pour satisfaire la demande à moindre coût. Ce calcul d’optimation permet de déterminer le coefficient marginal de capital optimal noté k. L’investissement I, dépend du coefficient de capital, d’un mécanisme du type accélérateur liant la formation de capital et le niveau de la production demandée, du rythme de déclassement du matériel usé, et du profit réel.
La fonction s’écrit alors de la manière suivante :
Le mécanisme accélérateur fait intervenir des coefficients de retard notés a, le déclassement se fait au taux d, et le profit réel PROR intervient comme un facteur additionnel. Le coefficient de capital optimal “k” dépend du taux de croissance du progrès technique t, du coût salarial w, du coût d’usage du capital c, et de b l’élasticité de l’investissement par rapport au coût relatif des facteurs.
La fonction d’investissement est en deux parties additives :
- un effet accélérateur
- un effet profit.
L’effet d’accélération domine généralement l’effet de profit, mais ce dernier joue un rôle très important en France à court terme, alors que son rôle est nul aux États-Unis, en Allemagne et au Royaume-Uni. La sensibilité aux prix relatifs du travail et du capital est forte aux États-Unis et au Royaume-Uni, elle est nulle en France et en Allemagne. Cela veut dire que dans ces deux derniers pays, les entreprises ne modifient pas leur technique de production en fonction du coût relatif capital / travail (la fonction de production est du type “clay-clay” c’est à dire sans substitution).
Les deux exemples retenus ici montrent clairement la difficulté d’exprimer l’investissement à partir des indications les plus souvent évoquées par la théorie économique . Ils montrent cependant aussi, et c’est essentiel, que les deux mécanismes de l’accélérateur et du profit expliquent largement les comportements des entreprises même si les logiques dominantes peuvent s’inverser d’une économie à l’autre. Cela renvoie bien entendu aux différentes de structures, et ces dernières sont assez fortes pour qu’il soit possible de parler de différences de systèmes. En dépit des discours annonçant la mondialisation et la globalisation d’un capital qui ne connaît plus de frontières, le capitalisme industriel de la France n’est pas le capitalisme industriel des États-Unis.
Pour conclure le graphique suivant montre les résultats d’une estimation économétrique récente pour la France (sociétés non financières et entreprises individuelles).
Cette définition est proche de celle retenue par Edmond Malinvaud et utilisée ci-dessus : « la notion de profitabilité se réfère précisément à cet excès du taux de profit des opérations productives par rapport au taux de rendement des placements certains » (Malinvaud, "Essai sur la théorie du chômage", Calmann-Lévy, 1983), c’est la différence entre le taux de profit anticipé et le taux d’intérêt réel de long terme . En effet, le taux de profit des opérations productives, rapporte le profit réalisé à partir des opérations productives (le numérateur du taux de rentabilité économique, l’excedent brut d’exploitation est un indicateur de ce profit) au capital fixe utilisé (qui est aussi le dénominateur du taux de rentabilité économique).
On trouve très souvent d’autres définitions dans les dictionnaires de sciences économiques, dans les manuels ou les ouvrages traitant de cette question en particulier : la profitabilité est la différence entre le taux de rentabilité financière et le taux d’intérêt réel de long terme.
La définition de l’INSEE est plus cohérente avec l’analyse de la décision d’investissement puisqu’il s’agit de comparer le rendement d’un investissement matériel (FBCF) à celui d’un placement financier. La première expression doit donc renvoyer au rendement du capital fixe et non pas au rendement des fonds propres. Dans la rentabilité financière on mesure le résultat financier final de l’ensemble des opérations de l’entreprise et pas seulement celui des opérations productives. Une entreprise peut faire des bénéfices à partir de la gestion de son patrimoine sans que cela implique une production : revenus des actions, des obligations et des autres titres qu’elle détient, recettes liées à la détention de brevets, à la location de terrains ou de batiments, par exemple.
[2] Observations et diagnostics économiques, revue de l’OFCE, n° 58 juillet 1996