Taux de marge, taux de rentabilité, taux de profit...
Il existe deux sources de données chiffrées permettant de conduire cette analyse :
pour les secteurs institutionnels, les sociétés (financières ou non financières) et les entrepreneurs individuels, les comptes nationaux.
pour une entreprise particulière, sa comptabilité et en particulier son bilan et son compte de résultat.
Pour l’analyse macroéconomique
Les comptes des secteurs institutionnels permettent de calculer des ratios permettant de suivre dans le temps et pour les comparaisons internationales les performances des entreprises. Deux sont particulièrement intéressants : le rapport de l’excédent brut d’exploitation à la valeur ajoutée appelé taux de marge et le rapport de l’épargne brute (ou revenu disponible brut qu’on peut assimiler au bénéfice) à la valeur ajoutée.Le second ration mesure combien d’euros de revenu sont obtenus pour un euro de valeur ajoutée par l’entreprise.
le premier permet d’éliminer le rôle de la structure financière, de la fiscalité et des autres charges d’exploitation dans l’appréciation des résultats puisque celle-ci est fait au niveau de l’excédent brut d’exploitation.
Le taux de marge permet de mesurer la part de la valeur ajoutée qui n’est pas utilisée pour rémunérer le travail des salariés et payer les impôts sur les produits [1] nets des subventions.
Donc, le taux de marge est le rapport de l’excédent brut d’exploitation (ou du revenu mixte brut pour les entreprises individuelles) à la valeur ajoutée.
Il ne faut pas confondre l’EBE (excédent brut d’exploitation) et le ce que l’on appelle habituellement le bénéfice c’est-à-dire la différence entre les recettes et les dépenses. En comptabilité nationale, le "bénéfice" des entreprises (sociétés financières, sociétés non financières, entreprises individuelles) est mesuré par le revenu disponible brut (RDB). Comme les entreprises n’ont pas de consommation finale, le RDB est égal à l’épargne brute. De la même manière on assimile souvent l’EBE et le profit par exemple lorsque le partage de la valeur ajoutée entre salaires, impôts sur la production et EBE est présenté comme partage entre profits et salaires. Le profit n’est pas une grandeur mesurée dans les comptes, c’est un concept économique dont la définition dépend du contexte théorique dans lequel il est utilisé. [2] Ce n’est pas l’EBE mais l’épargne brute qui se rapproche le plus de la notion de résultat utilisée en comptabilité privée pour mesurer le bénéfice (ou la perte) de l’entreprise, comme le montre l’exemple suivant construit à partir des comptes des sociétés non financières pour 2005.
Compte de production des sociétés non financières | |||
Consommations intermédiaires | 1268,5 | Production au prix de base | 2126,6 |
Production au prix de base | 2126,6 | ||
Production pour emploi final propre | 23,0 | ||
Valeur ajoutée brute | 858,2 | ||
Compte d’exploitation des sociétés non financières | |||
Salaires et traitements bruts | 422,9 | Valeur ajoutée brute | 858,2 |
Cotisations soc. effectives à la charge des employeurs | 128,1 | ||
Cotisations soc. imputées à la charge des employeurs | 11,5 | ||
Impôts sur les salaires et la main d’œuvre | 10,5 | ||
Impôts divers sur la production | 37,0 | ||
Subventions d’exploitation | -11,5 | ||
Excédent brut d’exploitation | 259,6 | ||
Compte d’affectation des revenus primaires des sociétés non financières | |||
Revenus de la propriété | 224,3 | Excédent brut d’exploitation | 259,5 |
Revenus de la propriété | 136,8 | ||
Solde des revenus primaires | 172,1 | ||
Compte de distribution secondaire du revenu des sociétés non financières | |||
Impôts sur le revenu | 33,3 | Solde des revenus primaires | 172,1 |
Prestations d’assurance sociale directe d’employeurs | 11,9 | Cotisations sociales | 12,0 |
Primes nettes d’assurance dommage | 5,0 | Indemnités d’assurance dommage | 2,3 |
Transferts courants divers | 25,1 | Autres transferts courants divers | 3,9 |
Revenu disponible brut | 114,9 | ||
Le taux de marge permet de suivre le partage de la valeur ajoutée entre les salariés et l’entreprise puisque chaque euro attribué à l’un ne peut l’être en même temps à l’autre.
L’évolution du taux de marge fait l’objet de nombreuses discussions pour des raisons méthodologiques. Les résultats dépendent en effet des champs retenus : toutes les entreprises ou les seules sociétés non financières, toutes les branches ou après élimination des branches ayant des structures particulières comme l’agriculture... Mais aussi des définitions de la rémunération du travail qui doit correspondre le mieux possible au côut du travail : habituellement l’INSEE retient les salaires et les charges sociales et fiscales portant sur les salaires mais comment prendre en compte la rémunération du travail non salarié ? comment intégrer certaines formes de rémunération ?
L’INSEE rend compte de ces difficultés dans la présentation de la Session du Onzième collque de comptabilité nationale tenue en janvier 2006. Sous le titre Évolution et répartition de la valeur ajoutée et des revenus primaires (mesure et interprétation) les communications suivantes sont disponibles :
Philippe Askenazy (ENS - CEPREMAP) - Vers une théorie du partage de la valeur ajoutée
Arnaud Sylvain, François Lequiller (OCDE) - Aspects internationaux et comparatifs
Nicolas Canry (Université Paris I) - La part salariale dans le PIB en France : comment corriger au mieux le phénomène de la salarisation croissante de l’emploi
David Thesmar (HEC) - Partage de la valeur ajoutée ou partage du risque.
Ce dossier confirme ce qui était déjà connu depuis la publication dans Économie et statistique (novembre 2003 - n°363-364-365) de l’article de Philippe Askenazy, Partage de la valeur ajoutée et rentabilité du capital en France et aux États-Unis : une réévaluation.
En tenant compte des réserves qui viennent d’être soulignées voici le type de représentation souvent utilisé pour illustrer le partage de la valeur ajoutée.
Source : INSEE, tableaux de l’économie française, sur le site de l’INSEE.
Source : INSEE, séries longues des comptes nationaux (2008)
En utilisant en plus des comptes de flux les comptes de patrimoine de la comptabilité nationale, il est possible de reconstituer des ratios de rentabilité économique et de rentabilité financière s’approchant des valeurs issues de la comptabilité d’entreprise.
Pour se rapprocher de la rentabilité économique calculée par les entreprises il faut définir une Rentabilité économique du capital engagé obtenue en faisant le rapport de l’excédent net d’exploitation augmenté des intérêts reçus au capital engagé (ENE + Intérêts reçus bruts) au Capital engagé [3]
De même on peut calculer une Rentabilité financière avant impôt en faisant le rapport de l’excédent net d’exploitation augmenté de la différence entre les intérêts reçus et les intérêts versés au capital engagé diminué de la dette financière brute).
Rentabilité économique financière des sociétés non financières selon la Comptabilité nationale [4]
Cependant, les analyses de la rentabilité des entreprises utilisent plus souvent les données de la comptabilité des entreprises.
Pour l’entreprise
Ce qui suit est plus facile à lire si les soldes et postes comptables utilisés sont connus. Si ce n’est pas le cas il faut lire cet article.Une fois admis que la rentabilité soit s’apprécier relativement (un résultat absolu n’a pas de sens il doit être comparé à ce qui lui a donné naissance) il faut choisir le numérateur et le dénominateur.
Le plus simple est de rapporter le résultat net à l’actif total. Ce rapport est souvent qualifié de rentabilité globale Elle mesure la rentabilité de l’ensemble des actifs utilisés par l’entreprise.
Si c’est la rentabilité du capital installé (capital fixe) qui doit être appréciée il faut faire le rapport du résultat à la valeur des actifs immobilisés. Cela permet de mesurer l’efficacité du processus productif
Ainsi, la rentabilité de l’entreprise se compose de la rentabilité économique et de la rentabilité financière (ou rentabilité des capitaux propres). La différence traduit l’impact de la structure financière.
La rentabilité économique (Return on capital employed, ROCE) est la rentabilité comptable de l’outil industriel alors que la rentabilité financière (Return on equity, ROE) est égal au rapport du résultat net aux capitaux propres.
La rentabilité financière connaît des variations fortes puisqu’elle dépend du taux d’intérêt et qu’elle est soumise à l’effet de levier.
En revanche la rentabilité économique est relativement stable puisqu’elle traduit l’efficacité du capital fixe.
Source : Bertille Delaveau et Renaud du Tertre, La rentabilité des entreprises en France selon leurs tailles et leurs potentialités de croissance, Horizons stratégiques, Centre d’analyse stratégique, janvier mars 2008.
Dans le Bulletin de la Banque de France, n° 170 de février 2008, La situation financière des sociétés non financières en France, Jean-Luc Cayssials, Dominique Durant, Olivier Vigna et Jean-Pierre Villetelle montrent bien (pages 9 et 10) comment la rentabilité économique et la rentabilité financière dépendent des méthodes de mesure des numérateurs et dénominateurs. Or il est difficile de choisir car tout dépend du point de vue qu’on adopte. Pour un investisseur, l’actif à rentabiliser, ou éventuellement à céder, est le capital net en valeur de marché, mesuré en évaluant les actifs au prix du marché et en déduisant les dettes. En revanche, pour mesurer l’efficacité des décisions prises dans le passé, le coût d’acquisition est certainement plus adapté.
Et le taux de profit...
Une recherche par le célèbre moteur Google donne sur les 40 premières pages trouvées 38 réponses renvoyant à l’analyse marxiste et en particulier à "la tendance à la baisse du taux de profit" exposée par Karl Marx dans le tome 1 du livre III du capital, chapitre XIII.Autant dire que la référence au taux de profit comme mesure de la rentabilité induit fatalement une perspective marxiste... ce qui sera fait dans un autre article.
[2] Voir cet article sur le blog "L’antisophiste".
[3] Actif non financier hors stock + Besoin de fonds de roulement + Créances financières et trésorerie.
[4] Bertille Delaveau et Renaud du Tertre, La rentabilité des entreprises en France selon leurs tailles et leurs potentialités de croissance, Horizons stratégiques, Centre d’analyse stratégique, janvier mars 2008.