Il y a à peine trois mois, l'inflation était le sujet d'inquiétude économique numéro un. Les prix du pétrole atteignaient des sommets, tout comme ceux des denrées alimentaires. Les banques centrales mettaient en avant les risques de propagation aux salaires, ce que les économistes appellent "les effets de second tour".
L'inflation. Selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), l'inflation est une perte du pouvoir d'achat de la monnaie qui se traduit par une hausse généralisée et durable du niveau des prix. Généralement, pour évaluer le taux d'inflation, on utilise l'indice des prix à la consommation.
La désinflation. Elle est caractéristique d'une période dans laquelle le taux d'inflation, bien que supérieur à zéro, est orienté à la baisse.
La déflation. Selon l'Insee, c'est un gain de pouvoir d'achat qui se traduit par une diminution générale et durable des prix. C'est une inflation négative.
La stagflation. Elle consiste en la concomitance de deux phénomènes : une croissance faible, voire négative, avec un niveau élevé d'inflation.
Avec la crise financière, toutes ces craintes inflationnistes se sont envolées, et c'est aujourd'hui la déflation qui menace : une phase généralisée et durable de recul des prix, comme le Japon en a connu au cours des années 1990 à la suite de l'éclatement de sa bulle immobilière et boursière. La déflation a pour effet d'aggraver la crise économique en accentuant le recul de l'activité.
Selon les statistiques publiées mardi 18 novembre, les prix à la production ont reculé de 2,8 % au mois d'octobre aux Etats-Unis, un record depuis que cette statistique a été créée, en 1947. Au Royaume-Uni, l'inflation s'est établie à 4,5 % sur un an, en octobre, contre 5,2 % un mois plus tôt, ce qui représente le ralentissement mensuel le plus important observé depuis seize ans.
Le plongeon historique des prix agricoles et énergétiques est à l'origine de la décrue spectaculaire de l'inflation. Le cours du baril, qui atteignait 145 dollars mi-juillet, flirte désormais avec la barre des 50 dollars. Avec la crise financière, les fonds spéculatifs, qui avaient investi massivement sur les marchés de matières premières, faisant s'envoler les prix, s'en sont retirés dans une atmosphère de panique. A ce reflux de la spéculation, s'ajoute le jeu naturel de l'offre et de la demande : la seconde se réduit en raison de la récession mondiale.
Face à la menace de déflation, les gouvernements commencent à prendre peur. "L'an dernier et au cours des derniers mois le problème était l'inflation, une inflation combinée à la crise du crédit, l'an prochain le problème sera la déflation", a averti jeudi le premier ministre britannique Gordon Brown. "Jusqu'à juin, nous avons dû lutter contre l'inflation et le gouvernement chinois a réussi à maîtriser ce problème, a déclaré il y a quelques jours le vice-gouverneur de la banque centrale, Yi Gang. Mais désormais, le gouvernement réfléchit à des mesures pour prévenir efficacement une déflation possible."
Pour le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz, "il est clair que la menace inflationniste d'il y a un an a disparu. Il est trop tôt pour dire que nous sommes passés à une situation de déflation. Mais cela pourrait arriver." Les économistes soulignent que l'économie mondiale n'est pas encore confrontée à proprement parler à une situation de déflation. Elle se trouve dans une phase de désinflation accélérée, c'est-à-dire de ralentissement rapide du taux d'inflation. Dans la zone euro, celui-ci est revenu de 4 % en juillet à 3,2 % en octobre, mais il reste positif, ce qui veut dire que, mesuré sur un an, le niveau général des prix continue à augmenter.
La crainte est toutefois que ce mouvement de désinflation, aux effets bénéfiques pour le pouvoir d'achat, ne dégénère, à cause de la contraction historique du crédit, en déflation, aux conséquences économiques très négatives. En situation de déflation aiguë, ce ne sont pas seulement les prix qui baissent mais aussi les investissements et la production. La consommation se replie également, les ménages préférant différer leurs achats dans l'attente des baisses de prix à venir. Les rémunérations sont pour leur part tirées vers le bas, en raison de l'augmentation du chômage qui met les salariés en position de faiblesse vis-à-vis de leur employeur.
CRI D'ALARME
La déflation est encore plus dommageable pour les agents économiques endettés, qu'il s'agisse des Etats ou des particuliers. Avec des prix en baisse, la charge de la dette - le montant des versements d'intérêts et des remboursements d'emprunts - augmente mécaniquement. De quoi faire peur lorsqu'on connaît les niveaux d'endettement privé et public aux Etats-Unis et dans plusieurs grands pays européens.
Le cri d'alarme lancé jeudi par M. Brown se comprend d'autant mieux qu'une fois la déflation installée, il est très difficile de s'en défaire, comme l'a prouvé le cas du Japon. D'où la nécessité, selon les économistes, d'agir très en amont. Le principal remède consiste en une baisse radicale de taux d'intérêt par les banques centrales, pour regonfler artificiellement la masse monétaire. Celle du Japon avait ramené ses taux à 0,5 % au milieu des années 1990. Ils étaient même devenus négatifs en Suisse à la fin des années 1970.
C'est vers ce scénario de taux zéro, d'argent gratuit, qu'on semble s'orienter aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. La Réserve fédérale américaine (Fed) vient de ramener son taux directeur à 1 % et un assouplissement monétaire supplémentaire est envisagé. La Banque d'Angleterre a pour sa part abaissé d'un point et demi son principal taux, un geste d'une ampleur jamais observée. Il a été porté à 3 %, le plus bas niveau depuis cinquante ans. Son gouverneur, Mervyn King, a laissé entrevoir la possibilité de nouvelles réductions. De nombreux experts craignent en revanche que, dans la zone euro, la Banque centrale européenne (BCE) rechigne, pour des raisons historiques et culturelles, à adopter une stratégie monétaire aussi extrême.