JEAN-MARC VITTORI
Le moment français
[ 27/01/09 ]
Toutes les étoiles s'alignent. La France redevient un modèle. D'aucuns se prennent à rêver de nouveau à un pays guidant glorieusement la planète vers un avenir meilleur... A en croire l'économiste allemand Holger Schmieding travaillant pour Bank of America, la France est même « le dernier modèle debout » (1), le seul à ne pas avoir été démoli par le surendettement à l'anglo-saxonne ou l'excès de rigueur du système rhénan. Si le monde ne nous envie pas, le monde nous copie. L'interventionnisme des pouvoirs publics devient la norme. Tous les grands pays convergent vers une France championne de la dépense publique (53 % du PIB). Américains et Britanniques nationalisent leurs banques, comme le firent le général de Gaulle en 1945 et François Mitterrand en 1981. Le constructeur General Motors pourrait lui aussi basculer dans le secteur public, tout comme Renault il y a plus de six décennies. Beaucoup d'étrangers découvrent que notre protection sociale n'est pas seulement un fardeau désuet, mais aussi une protection - sociale de surcroît. L'Etat devient partout le sauveur suprême vers lequel convergent tous les regards, comme c'est le cas en France depuis des siècles.
Poursuivons l'alignement des étoiles. Des Français dirigent les institutions internationales au coeur de la tourmente : Dominique Strauss-Kahn est au Fonds monétaire international (dont l'économiste en chef, Olivier Blanchard, est aussi français), Jean-Claude Trichet à la Banque centrale européenne et Pascal Lamy à l'Organisation mondiale du commerce. La France était le seul pays à avoir des économistes ayant constitué une « école de la régulation », et maintenant les dirigeants du monde entier n'ont plus que ce mot-là à la bouche. D'autres économistes français sont parmi les plus réputés au monde en matière de réglementation financière et d'économie publique (certains d'entre eux participeront d'ailleurs demain à une conférence de haut niveau à Bercy).
Enfin, tout au bout de la constellation, une étoile ou plutôt une star brille d'un éclat tout particulier : c'est le président de la République, Nicolas Sarkozy. Sa présidence de l'Union européenne fin 2008 a marqué les esprits. Il a réclamé et obtenu la conférence financière de Washington. Ce sommet restera dans l'histoire comme un virage décisif, celui de la montée en puissance du G20, qui rassemble non seulement les vieux pays industriels mais aussi les grandes nations émergentes. Il marque aussi l'aspiration à une vraie gouvernance mondiale, là encore une vieille idée française. Jean-Claude Trichet le disait bien avant de partir pour Francfort : « Les Français voudraient être les architectes du monde. »
Il y a tout de même une bizarrerie dans ce moment bleu-blanc-rouge : on n'entend aucun cocorico. Il paraît peu vraisemblable que l'ampleur de la crise économique et financière mondiale puisse calmer le coq gaulois. L'explication de cette rare modestie est donc ailleurs. Dans la crainte, d'abord : même si une France mieux protégée que ses grands voisins devrait subir un coup de frein moins violent sur son activité économique, elle va tout de même souffrir dans les mois à venir, et sa légèreté budgétaire d'hier lui donnera moins de latitude d'action demain. Dans le doute, ensuite : même si beaucoup de Français sont fiers de leur modèle, ils sont conscients de ses faiblesses. Et ils sont bien placés pour savoir que la nationalisation n'est pas la panacée.
N'importe quelle entreprise aurait du mal à fonctionner avec des syndicats ressemblant à ceux de la SNCF. Ou avec le dynamisme de certains postiers derrière leur guichet. Ou avec la rapidité de décision de la préfectorale. Ou avec la discipline des agents de l'ANPE récemment fondus dans le Pôle emploi. Ou avec les 35 heures à la sauce hôpital. Ou avec un équilibre des couvertures santé et retraite piloté par la Sécu. Autrement dit, le modèle public français, vers lequel le monde entier semble basculer pour échapper aux rigueurs de la crise, n'est pas un modèle. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le triomphe apparent des idées françaises n'est qu'un moment. Dès que le pire sera passé, dès que le vent de l'optimisme se lèvera, dès que l'envie d'entreprendre reviendra, les étoiles reprendront leur course et le moment français n'aura été qu'une étrange malice de l'histoire.