Epargnants: la peur de s'appauvrir
Par Georges Dupuy, mis à jour le 15/10/2008 15:42:34 - publié le 15/10/2008 15:09
s. platt/getty images/afp
Plusieurs mois seront sans doute nécessaires avant d'assister à un rebond durable des marchés financiers.
Bourse, immobilier... les particuliers ont le sentiment de perdre sur tous les tableaux. De fait, leur patrimoine risque d'être durablement chahuté.
C'est peut-être la seule bonne nouvelle (relative) dans un océan d'incertitude et de crainte. L'épargne détenue, en 2007, par quelque 18 millions de Français est l'une des moins exposées d'Europe à la dégringolade des cours en Bourse, selon une étude réalisée par TNS Sofres. « Avec de 20 à 25 % d'actionnaires, directs ou indirects, précise Luc Arrondel, directeur de recherche au CNRS, nous sommes loin des 35 à 40 % enregistrés au Royaume-Uni, sinon des 50 % qui le sont outre-Atlantique. » Les 3 millions de petits porteurs français apprécieront : depuis janvier dernier, le CAC 40 a chuté de plus de 30 % ! Et il faudra sans doute encore attendre plusieurs mois pour espérer un rebond durable des marchés financiers. D'ici là, tous ceux qui savent que leurs placements englobent un plus ou moins grand pourcentage d'actions et d'obligations ont de quoi être inquiets.
Force est de constater, pourtant, que les banques tricolores ont joué avec prudence et que le naturel peu aventureux des particuliers leur a évité d'emprunter les chemins les plus risqués. En 2006 (mais les chiffres restent valables), les trois quarts du patrimoine financier des ménages, selon l'Autorité des marchés financiers, ne présentaient aucun risque en capital. Aujourd'hui, les 12 millions de détenteurs d'assurance-vie ont ainsi opté, à une large majorité (78 %), pour des contrats en euros. Bref, « en France, le risque de dévisser est plus limité », explique Philippe Crevel, secrétaire général du Cercle des épargnants.
L'immobilier, le grand placement des Français (55 % d'entre eux sont propriétaires de leur logement), n'échappe pas au marasme. Bernard Cadeau tempère : « C'est comme à la Bourse : tant que l'on n'a pas vendu, on n'a rien perdu. » Le responsable du réseau d'agences Orpi a beau rappeler que les prix immobiliers ont augmenté de 140 % depuis dix ans, l'actualité n'a rien de rassurant. Selon la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim), les prix, au troisième trimestre de 2008, marquent un recul de 2,6 % par rapport à la même période en 2007. Et la fédération estime que la décrue, cette année, sera de 2 à 3 %.
Sur tous les fronts, la plupart des épargnants ont, désormais, l'impression que la crise a planté ses grandes dents dans leurs biens. Entraînant ce que les économistes nomment un effet d'appauvrissement. Didier Davydoff, directeur de l'Observatoire de l'épargne européenne, anticipe des changements de comportement : « Ceux qui pensent que leur patrimoine diminue vont reconstituer leur épargne au détriment de la consommation. » En privilégiant les valeurs refuges...
Vive le béton et le sac de sable ! D'ores et déjà, les ménages se sont rués sur les livrets A, dont les encours ont augmenté de plus de 350 % depuis janvier dernier ! Ils ont également multiplié par quatre ou cinq leurs achats de napoléons et de lingots d'or. D'autres n'ont pas ces soucis. Nul ne connaît la nationalité de l'acheteur qui a acquis, le 15 septembre, chez Sotheby's, pour 13 millions d'euros, une oeuvre de Damien Hirst nommée... Golden Veal (le Veau d'or). Un animal, certes, avec des cornes et des sabots dorés, mais embaumé. Tout un symbole.
Ruée sur les coffre-forts
Au téléphone, la voix de l'homme était inquiète. Malgré l'heure tardive, il voulait acheter un coffre-fort, vite. Lors du krach financier de 1929, a-t-il affirmé à Nicolas Risterucci, le jeune patron du site Internet Hexacoffre.com, les épargnants ont été brutalement privés d'accès aux compartiments sécurisés qu'ils louaient dans leurs banques. Pas question de vivre pareille mésaventure. Pour dormir tranquille, ce client vespéral s'est offert un coffre dont la valeur assurable (du contenu) atteint la bagatelle de 55 000 euros.
Des commandes comme celle-là, Nicolas Risterucci en reçoit presque tous les jours en ce moment. A tel point qu'il a réalisé le « plus beau mois » de sa carrière de distributeur en septembre : 100 000 euros de chiffre d'affaires hors taxes, deux fois plus que l'an dernier. « Nos clients aisés veulent désormais garder chez eux bijoux, argent liquide et actes de propriété, car ils sont méfiants envers les banques », explique-t-il.
Depuis trois semaines, Hugo Gervaise, responsable de la clientèle francilienne du fabricant de coffres-forts Solon, voit passer, lui aussi, « beaucoup de monde » dans son agence parisienne : « Pas mal d'épargnants qui vident leurs comptes dans des établissements étrangers et dans des paradis fiscaux et qui achètent de l'or », précise-t-il. De quoi doper ses ventes « de 30 à 35 % ». Olivier Bianchi, directeur de la division stockages sécurisés de Gunnebo France, qui distribue les coffres-forts Fichet-Bauche, abonde dans son sens : « Nous constatons un pic d'augmentation des ventes de l'ordre de 20 à 25 % par rapport à une année classique. » Le malheur des uns fait le chiffre d'affaires des autres...