Sanofi Aventis, Hewlett-Packard, Continental... Depuis le coup de folie qui s'est emparé des marchés financiers, le jour de la faillite de Lehman Brothers, le 15 septembre, les plans sociaux se multiplient. Et, comme pour ajouter aux inquiétudes, les dernières statistiques du chômage en France, publiées en pleine panique boursière, ont mis au jour plus de 41 000 demandeurs d'emploi supplémentaires. Simple effet d'optique, en réalité : les malheurs actuels de Wall Street et du CAC 40 n'ont rien à voir avec les nouvelles alarmantes qui remontent du front de l'emploi. « La crise n'a pas commencé il y a un mois, rappelle Xavier Timbeau, de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Les premiers symptômes ont éclos voilà déjà un an et demi et elle a eu le temps de produire ses effets sur l'économie. »
Le piteux état de la croissance est là pour le rappeler. Le produit intérieur brut, après avoir augmenté de 0,4 % au premier trimestre, a perdu 0,3 % au deuxième. Et cette tendance risque de se prolonger. L'année 2009 pourrait même être la plus noire que la France ait connue depuis quinze ans. Le Fonds monétaire international estime que la croissance sera quasi nulle, à 0,2 %, et l'institut Coe-Rexecode évoque carrément, dans son scénario noir, une contraction de l'ordre de 0,5 %. Avant que les marchés financiers ne craquent, tous les voyants étaient déjà passés au rouge. Ainsi, la consommation, principal moteur de l'activité, n'a cessé de diminuer depuis le début de l'année : - 0,1 % entre janvier et mars, - 0,1 % encore entre avril et juin. Des sorties plus rares, un week-end annulé, l'achat d'un écran plat reporté, un investissement immobilier gelé... mis bout à bout, ces arbitrages rendus par les foyers ont fini par affecter l'ensemble de l'économie.
L'assureur-crédit Euler-Sfac a noté, pour le premier semestre, une hausse des faillites en France de 9 % : plus de 53 000 entreprises ont été forcées de mettre la clef sous la porte ces douze derniers mois, ce qui a mis en péril 186 000 emplois. « On n'avait pas vu cela depuis 2002, avoue Karine Berger, auteur de l'étude. Les secteurs liés à la consommation sont ceux qui sont le plus touchés. Dans l'hôtellerie et la restauration, par exemple, on constate une faillite tous les jours. Mais ce ne sont pas les seuls : la construction et l'automobile ont déjà payé, eux aussi, le prix du ralentissement ». En témoignent les récentes difficultés des promoteurs Kaufman & Broad et Nexity, contraints d'annoncer des suppressions de postes massives, et les plans sociaux lancés, dès janvier, chez Peugeot et, en septembre, chez Renault.
La crise était là, mais on ne la voyait pas. La bourrasque financière l'a mise sur le devant de la scène, et elle n'est pas près de se retirer en coulisse. Les banques, touchées en plein coeur, vont devoir reconstituer leurs fonds propres et limiter les risques. Le crédit sera plus rare et plus cher, ce qui va asphyxier encore plus la consommation des ménages et l'investissement des entreprises. Et étouffer l'activité. « Les conséquences sur l'emploi seront très mauvaises, au moins jusqu'à la fin de l'année prochaine », prédit Karine Berger. Confrontée à la concurrence internationale, tentée par les délocalisations, l'industrie, qui d'après l'Insee a déjà perdu 64 300 emplois entre janvier 2007 et juin 2008, risque d'être particulièrement à la peine. Comme l'explique Yvon Jacob, président du Groupe des fédérations industrielles, « quand les perspectives ne sont pas bonnes, une entreprise qui doit diminuer sa production préfère d'abord toucher aux emplois des autres et cesse de faire appel à ses sous-traitants ». Et ceux-ci, en manque de trésorerie, peuvent se retrouver très vite acculés à la faillite.
« L'industrie va évidemment être affectée, mais, en réalité, il y aura peu de secteurs épargnés par les suppressions d'emploi, prévient Xavier Timbeau. La grande consommation, les services, la construction vont aussi prendre la crise de plein fouet, parce que ce sont des secteurs qui usent et abusent des contrats précaires, comme l'intérim ou le temps partiel subi. Il est très facile de s'en débarrasser quand la conjoncture s'obscurcit. » Mais, même si la mise en place des « plans de sauvegarde de l'emploi » - appellation officielle des plans sociaux depuis 2002 - est soumise à une réglementation relativement contraignante, aucun salarié n'est à l'abri de la tempête qui s'apprête à secouer l'économie française. « On risque d'assister dans les semaines qui viennent à une série d'annonces de la part des grands groupes, pronostique Xavier Lacoste, directeur général d'Altedia. L'idée d'une dégradation de la conjoncture est dans toutes les têtes, et les entreprises, qui sont encore en plein brouillard, ne vont pas hésiter à prendre des mesures préventives. »