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6 may 2008

ROCARD&BALLADUR. DEBAT (I)

Balladur-Rocard : l'«an I» sous le signe de la crise financière


05/05/2008 | Mise à jour : 16:13 |
Commentaires 1
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Édouard Balladur : «Il y a eu rupture. Non seulement dans le style mais aussi dans la prise de conscience de l'urgence qu'il y avait à décider les réformes ; rupture également dans la volonté d'assumer ses convictions et ses idées». Michel Rocard : «La vraie acceptation de l'économie de marché par le PS date de la semaine dernière : j'espère qu'elle sera votée ! Je ne peux pas sous-estimer l'importance de cette réécriture de notre identité»
Édouard Balladur : «Il y a eu rupture. Non seulement dans le style mais aussi dans la prise de conscience de l'urgence qu'il y avait à décider les réformes ; rupture également dans la volonté d'assumer ses convictions et ses idées». Michel Rocard : «La vraie acceptation de l'économie de marché par le PS date de la semaine dernière : j'espère qu'elle sera votée ! Je ne peux pas sous-estimer l'importance de cette réécriture de notre identité»

À l'occasion du premier anniversaire de l'élection de Nicolas Sarkozy, Le Figaro publie, au­jourd'hui et demain, un débat entre Édouard Balladur et Michel Rocard. Dans la première partie, les deux anciens premiers ministres évoquent principalement le contexte économique international dans lequel le chef de l'État a engagé sa politique de réformes.

LE FIGARO. - Peut-on dire que l'orientation générale du pays a changé depuis douze mois et peut-on parler de rupture ?

Michel ROCARD. - Il est peu contes­table que l'orientation générale du pays a bougé. D'une façon générale, il y a une ­disponibilité à la réforme et une intention réformatrice du chef de l'État et du gouvernement qui sont peu contestables. Reste à voir dans quel sens !

Édouard BALLADUR. - Il y a eu rupture. Non seulement dans le style mais aussi dans la prise de conscience de l'urgence qu'il y avait à décider les réformes ; rupture également dans la volonté d'assumer ses convictions et ses idées, avec l'accent mis sur l'importance du travail et la nécessité de permettre aux Français, grâce à plus de souplesse, de travailler davantage. C'est toute la base de cette politique nouvelle : produire davantage pour offrir davantage d'emploi et de pouvoir d'achat.

Nicolas Sarkozy doit cependant faire face à une situation qu'il ne pouvait prévoir lorsqu'il a rédigé son programme présidentiel. La crise du subprime, le ralentissement économique, la progression de l'euro et la flambée du prix du pétrole.

M. R. - Ralentissement économique, euro de plus en plus fort et retour de l'inflation. Au retour de l'inflation près, tout le ­reste était parfaitement prévisible et je fais partie de ceux qui annoncent infatigablement cette situation depuis trois ans !

E. B. - Que pouvait-on prévoir ? Supposons que nous soyons au mois d'avril de l'année dernière. On pouvait prévoir que le dollar se porterait mal, donc que l'euro se porterait trop bien, on commençait à ressentir les effets de la hausse des matières premières partout dans le monde, le pétrole commençait à augmenter. Nul ne peut nier qu'il y ait eu dans l'été et l'automne 2007 une aggravation de la situation. Il y a de très nombreuses années que je pense que notre sys­tème monétaire international est anarchique et marche mal, que le flottement généralisé des monnaies génère le désordre et trouble l'économie, qu'il y a une création excessive de crédit qui explique toutes les bulles qui se sont succédé avant d'éclater pour notre plus grand dommage. Pour ma part, dussé-je ­passer pour un mauvais prévisionniste aux yeux de Michel Rocard, je n'avais pas ima­giné que les autorités américaines auraient laissé naître et se développer la crise des subprime sans intervenir plus rapidement, sans édicter des réglementations qui interdisent ces techniques spéculatives, sans que la banque centrale américaine intervienne beaucoup plus rapidement qu'elle ne l'a fait.

Certains considèrent cependant que le pire de la crise des subprime est derrière nous.

E. B. - Qui le sait ? On a injecté beaucoup d'argent dans le système bancaire, en Europe comme aux États-Unis, pour éviter qu'il ne s'effondre ! On a fort bien fait, mais ce n'est pas là régler le problème du désordre monétaire et financier.

M. R. - Je ne voudrais pas prendre le risque de compromettre Édouard Balladur pour lequel j'ai beaucoup d'estime mais je suis tout à fait d'accord avec ce qu'il vient de dire ! Cela va plus loin qu'on ne croit, car derrière les excès de la pyramide de crédit et un certain nombre de difficultés, il y a une doctrine signée Milton Friedman qui est celle de l'optimalité des marchés. C'est celle qui prétend que l'équilibre de tout marché étant optimal, toute tentative de corriger un équilibre de marché, parce qu'il est socialement ou écologiquement non satisfaisant, aboutit à des perturbations qui font plus de perdants que de gagnants.

La crise ne provoque-t-elle pas un doute de l'opinion publique sur la viabilité du libéralisme et son avenir ?

Parleriez-vous de libéralisme dévoyé ?

E. B. - Oui, dévoyé parce qu'il ne respecte pas les principes de base du libéralisme. Pour fonctionner de manière équilibrée, celui-ci doit être ordonné, comporter des règles, qui s'imposent à tous, et un arbitre qui en assure le respect. On a détruit le sys­tème monétaire international il y a bientôt quarante ans. Comme on est incapable de le reconstruire, on fait l'apologie du désordre que constituent le flottement généralisé des monnaies et l'explosion de la création de crédit qui est l'une des causes majeure de la spéculation et des déséquilibres financiers et donc économiques. Le monde doit re­trouver l'équilibre. Par défaut de lucidité, par esprit de facilité, on risque de remettre en cause la liberté comme un élément moteur du progrès. C'est un risque immense de retour en arrière.

Michel Rocard, Édouard Balladur vient de parler de règles, d'un arbitre. Qu'en pensez-vous ?

M. R. - L'arbitre a un pouvoir régulateur, il fixe la règle, il est décisionnel. Pour la social-démocratie comme pour les libéraux non monétaristes, ce rôle ne peut être dé­volu qu'à l'État. Dans tous les cas, le remède aux excès du subprime et de la pyramide du crédit supposera des règles contraignantes. Il faudra un arbitre mondial et un changement de philosophie. Ce que l'on peut reprocher à Nicolas Sarkozy, c'est d'avoir par trop cédé à la mentalité de l'ultra­libéralisme dans sa description de l'État, en oubliant que la crise est devant nous. Car c'est maintenant que nous entrons dans la récession.

E. B. - La notion d'arbitre est capitale. Nous ne sommes plus seuls au monde, si tant est que nous ne l'ayons jamais été, nous sommes dans l'Europe et nous sommes dans le monde. D'où un double effort à faire. Sur le plan européen, il serait souhaitable que la France propose qu'on étudie l'harmonisation entre les 27 des règles s'appliquant aux activités financières, sous toutes leurs formes. Mais ce n'est pas assez : la mondialisation existe, nous ne pouvons y échapper, et il n'y a pas de règles harmonisées entre tous les pays.

Comment les trouver ?

E. B. - Commençons par coopérer plus étroitement avec les États-Unis. Je viens d'écrire un livre dans lequel je propose la création d'une Union occidentale. Le monde s'organisant en grandes régions, il est de notre intérêt en tant qu'Européens de nous organiser avec les Américains, mais sur un pied d'égalité. Ne serait-t-il pas normal qu'il y ait entre le président des États-Unis, assisté du secrétaire au Trésor et du président de la banque centrale américaine, une réunion régulière, tous les trois mois, avec le président l'Union européenne, assisté des responsables de la zone euro et de la BCE ? Ceci pour débattre, par exemple, des ­re­lations entre l'euro et le dollar, ou de l'adoption de règles communes en matière fi­nancière et bancaire. Il est indispensable d'har­­­moniser nos points de vue si nous voulons mettre fin au désordre et retrouver la prospérité et la stabilité. Ensemble nous serions plus forts pour proposer un nouvel ordre financier mondial, soixante ans après Bretton Woods. Certains redoutent que parler de l'Occident aille dans le sens d'une « guerre des civilisations ». Je crois tout le contraire. Il y a une organisation des pays arabes, des pays africains, une organisation dite de Shanghaï, regroupant notamment la Russie, la Chine, d'autres sur le continent américain, au nord ou au sud. Pourquoi l'Europe et les États-Unis, qui ont tant de points communs dans tant de domaines, ne pourraient pas regrouper leurs efforts pour mieux peser sur les affaires du monde ? Ne nous laissons pas impressionner par les ­vaines polémiques.

M. R. - Je suis comme vous lucide sur le fait que des règlements intra-européens ne sont plus suffisants par rapport à une finance mondialisée. Je crois aussi qu'il y a aux États-Unis une réflexion sur le fait qu'on en a trop fait en matière d'absence de règles. J'émets donc le vœu que la France prépare, convoque, une vaste conférence financière mondiale que l'on pourrait appeler Bretton Woods II.

Il faudra convaincre les Américains, tâche compliquée, mais d'abord les Européens. Sont-ils sur la même longueur d'ondes que nous ?

M. R. - Malheureusement, quantité de gouvernements d'Europe ont pour travers antifrançais de se méfier des idées générales et de se vouloir purement pragmatiques !

E. B. - Il y a aussi une méfiance envers le caractère supposé trop peu libéral des propositions françaises. Même quand les Français ont raison et, dans ce cas précis, ils ont raison.

Dans ce contexte, que pensez-vous de la progression de l'euro, qui complique aussi la politique de Nicolas Sarkozy, et de l'attitude la Banque centrale européenne ?

E. B. - Je suis partisan d'un euro solide, mais celui-ci est géré dans un système de fluctuation des monnaies dans lequel les repères sont mouvants : est-on réellement fort, ou simplement moins faible que l'autre ? C'est le problème de la relation avec le dollar. Il serait temps que les responsables de la Banque ­centrale européenne réfléchissent au fait que, depuis plusieurs années, l'euro a des taux d'intérêt élevés et que cela n'a pas empêché l'inflation d'augmenter pour des raisons externes à la zone euro, du fait de l'augmentation des prix des matières premières et du pétrole. La question se pose : est-ce que le maintien de taux d'intérêt comparativement élevés permet de lutter contre une inflation dont les causes sont ­largement extérieures à la zone euro ? Le raisonnement qui consiste à dire que, si nous ne pouvons rien contre l'augmentation du prix du pétrole, nous évitons, en élevant les taux d'intérêt, d'en aggraver les conséquences sur le plan interne, est à mon avis sujet à réflexion. En tout cas, je constate que le niveau d'inflation en Europe est, malgré des taux élevés, à peu près le double de la limite que s'était fixée la BCE. Je souhaiterais qu'on renouvelle la réflexion sur le lien qu'il y a entre le niveau des taux d'intérêt de l'euro et le niveau des prix en Europe. J'approuve évidemment la lutte contre l'inflation, mais n'oublions pas que la monnaie doit être au service de l'économie.

M. R. - Je suis d'accord sur le diagnostic mais j'en tire des conclusions institution­nelles différentes. Une banque centrale, ce n'est pas un épiphénomène venu de la planète Mars. Elle a un mandat et des statuts. Sa différence majeure avec la Fed américaine, c'est qu'elle n'a pas pour mission de s'occuper de la croissance et de l'emploi. Sa mission exclusive est d'assurer la stabilité des prix. C'est un problème d'écriture de traité - il faut rectifier le statut - et de prise de conscience dans la zone euro. Le Conseil des ministres de la zone euro devrait provoquer la réflexion sur ce sujet.

Revenons à la France. Le PS vient d'adopter une « déclaration de principes » dans lequel il se dit « réformiste » et plaide pour « une économie de marché régulée »…

E. B. - Je m'en réjouis, mais j'attends qu'elle soit appliquée dans les faits ! J'attends avec intérêt le programme de gouvernement que le PS élaborera avant de juger.

M. R. - Moi aussi ! Je suis social-démocrate et j'appartiens à un courant politique mondial. Nous sommes victimes du vol de notre nom. On appelle trop souvent socia­listes des conceptions communistes qui nous ravissent notre identité. Je rappelle que l'Internatio­nale socialiste a condamné l'autoritarisme dès 1920 et que l'Internationale social-démocrate, reconstruite en 1945, a fait le choix d'une économie de marché que le PS français a eu plus de mal que d'autres à accepter. La vraie acceptation de l'économie de marché par le PS date de la semaine dernière : j'espère qu'elle sera votée ! Je ne peux pas sous-estimer l'importance de cette réécriture de notre identité. Le Parti socialiste français a longtemps subi la fascination du PCF qui nous a dominés si longtemps. Avec la déclaration de principes du PS, pour la première fois depuis cent deux ans, nous reconnaissons que nous sommes réformistes. Le mot de révolution n'apparaît plus. Tout n'est pas réglé mais il est clair que ce texte est une forme de condamnation de l'ultragauche du parti.

Fin de la première partie

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