NEW YORK CORRESPONDANT
L'accélération de la crise donne le tournis. Vendredi, Rick Wagoner, PDG de General Motors (GM), prononçait pour la première fois les mots impensables : "risque de faillite". Certes, il entendait presser le gouvernement américain de débloquer en urgence une aide financière pour éviter au géant de l'automobile américaine une insolvabilité d'ici cinq à six mois. Mais, l'espace d'un week-end, on n'en est déjà plus là. Lundi 10 novembre, GM a annoncé 5 500 réductions de postes, au lieu des 3 600 indiqués vendredi. Surtout, son cours plongeait de 22,9 %, au plus bas depuis soixante ans. Motif : selon la Deutsche Bank, l'entreprise pourrait se retrouver à court de liquidités dès janvier 2009. La banque a ramené son objectif de cours à... zéro, estimant qu'un sauvetage public ne profiterait pas aux actionnaires.
Un effondrement de GM ou de l'autre grand du secteur, Ford (potentiellement insolvable d'ici huit à douze mois), serait un "cataclysme" entraînant la destruction de 2,5 millions d'emplois aux Etats-Unis, selon une étude publiée lundi par le Centre de recherche automobile (CAR) d'Ann Arbor, dans le Michigan. Hormis la sous-traitance, les services financiers, les réseaux de vente, on compterait 1,4 million de "victimes collatérales" dans l'immobilier, la restauration, la santé ou l'éducation.
Le Parti démocrate pousse l'administration Bush à débloquer très vite le prêt préférentiel à l'industrie automobile de 25 milliards de dollars (19,5 milliards d'euros) qu'elle a signé et dont le versement se heurte à des difficultés légales (ces prêts ne peuvent être alloués qu'à des entreprises à la "viabilité garantie"). Il estime aussi urgent d'adopter un "plan de sauvegarde" de l'automobile, soit par une intervention capitalistique directe de l'Etat, soit plus probablement via de nouveaux crédits publics - ce qui revient au même.
La somme minimale demandée par les cadres financiers et les dirigeants syndicaux des trois constructeurs américains est de 25 milliards de dollars supplémentaires. Lundi matin, dans le Wall Street Journal, un ex-dirigeant de Dow Jones a ainsi résumé la situation : "Si le seul moyen de maintenir GM à flot est un afflux de dollars du gouvernement, alors une restructuration complète sous contrôle public ou sous celui d'un conseil de surveillance extérieur doit en être le prix." Le Trésor y est aujourd'hui réticent, craignant de voir son aide partir en fumée, l'automobile américaine étant devenue inadaptée à une demande elle-même conjoncturellement en chute libre.
MENACE SUR L'EMPLOI
D'autant que, derrière l'automobile, un autre secteur en grande difficulté pourrait bientôt appeler à l'aide : la plupart des compagnies aériennes américaines sont au bord du gouffre. Et avec la chute de la consommation, des sociétés de services commencent aussi à souffrir. Numéro deux de la vente de matériel informatique et électronique grand public aux Etats-Unis, Circuit City (43 000 salariés dans le pays, entre ses employés et ceux des 700 franchisés) a déposé, lundi, son bilan. Le même jour, le service de courrier express DHL, propriété de Deutsche Post, a indiqué qu'il cessera dès fin janvier ses activités américaines : 9 500 emplois s'ajouteront aux 5 400 déjà supprimés récemment.
La menace sur l'emploi s'inscrit dans une lame de fond qui déborde désormais très largement l'immobilier, la finance, l'automobile ou l'aérien. Une lecture fine des chiffres du ministère du travail, réalisée par le Centre de recherche en politique économique (CEPR), un think tank démocrate, donne une image très alarmante de la situation. Non seulement 524 000 emplois ont été perdus entre septembre et octobre, mais la catégorie des "emplois à temps partiel non volontaires" a cru de 844 000 personnes sur la même période.
La préservation de l'emploi, clé du maintien d'un niveau de consommation suffisant, devient la préoccupation majeure des milieux économiques. Selon Dean Baker, codirecteur du CEPR, le taux de chômage (6,5 %) atteindra 7 % dès le début 2009. "L'investissement privé chute, celui des Etats américains aussi, dit-il. Seul un plan d'intervention publique de grande envergure" peut enrayer la plongée vers la dépression. Un tel plan, en plus de celui adopté pour renflouer le secteur bancaire (700 milliards de dollars), devrait atteindre "2 % à 3 % du PIB" américain, soit 300 à 450 milliards de dollars.
Il devrait, dit-il, se diviser en deux : un volant strictement social destiné à préserver la consommation (augmentation de la durée des prestations de chômage au-delà des vingt-six semaines légales actuelles, augmentation des coupons d'aide alimentaires, aide au financement de la couverture santé...), et un volant de dépenses d'infrastructures (transports, énergie...) pour créer de l'emploi.
Au rythme de croissance moyen de 0,3 point supplémentaire par mois, le taux de chômage atteindra rapidement les 9 %, estime M. Baker. Initialement, un tel plan ne pourrait que réduire son rythme de progression. Mais "sans lui, la barre des 10 % sera rapidement dépassée". La dépression est bien en place.
Sylva