International - Article paru
le 4 juillet 2008
europe
Trichet, chef de guerre contre les hausses de salaires
La Banque centrale européenne (BCE) a décidé hier de relever son principal taux directeur d’un quart de point à 4,25 %. Ce tour de vis monétaire a été présenté, sans surprise, par Jean-Claude Trichet comme le moyen de juguler une inflation qui a atteint le seuil des 4 % en juin. À plusieurs reprises, le gouverneur de la BCE avait laissé clairement entendre qu’il agirait dans ce sens ce 3 juillet compte tenu que la hausse des prix dépasse largement les 2 % autorisés par les normes de l’institut d’émission.
durcissement de la politique monétaire
Cette décision intervient en dépit des recommandations inquiètes durant toute la semaine de plusieurs dirigeants politiques européens. De l’Espagnol Jose Luis Rodriguez Zapatero, à la ministre française de l’Économie, Christine Lagarde, jusqu’au ministre allemand des Finances, Peer Steinbrück, tous ont mis en garde, à un moment ou à un autre, contre un durcissement de la politique monétaire qui pourrait plomber encore un peu plus une croissance européenne déjà passablement poussive. Mais rien n’y a fait. Jean-Claude Trichet et ses collègues sont donc restés inflexibles. Et forts des pouvoirs exorbitants que leur confère le statut d’indépendance de l’institut d’émission, ils se sont assis sans état d’âme sur ces remarques, concédant tout au plus qu’il n’y aurait pas forcément d’autres augmentations des taux d’intérêt « dans un avenir rapproché ».
Leur seule boussole est la lutte contre l’inflation, un critère inspiré très directement par les marchés financiers qui craignent par-dessus tout une érosion de la valeur des rentes en cas de trop forte envolée des prix. En fait, la décision de la BCE conduit à faire payer aux salariés les conséquences de la crise économique multiforme qui explose littéralement aujourd’hui dans la foulée du krach financier né, il y a un an, de l’écroulement du fameux système des subprimes (crédits à risque) aux États-Unis. Postes lourds de la facture : l’emploi et le pouvoir d’achat.
La hausse des taux va en effet accentuer encore les tendances à la restriction du crédit, ce qui va accroître le phénomène de contraction du crédit pour les investissements productifs. Au pire moment. Tous les instituts de conjoncture des grands pays européens tablent sur un très fort ralentissement de l’activité dans la seconde moitié de cette année. Et l’indice composite PMI de la zone euro, qui mesure l’activité des secteurs manufacturiers et des services, affiche d’ores et déjà des résultats encore moins bons que prévu en juin, selon les chiffres communiqués hier. Ils signalent ainsi, et pour la première fois depuis cinq ans, une contraction sensible de la croissance dans la zone.
rendre le crédit sélectif
Les dangers pour l’activité et l’emploi sont d’autant plus importants que la BCE vise d’abord l’austérité salariale. Sous couvert de juguler l’inflation, Jean-Claude Trichet a pointé une nouvelle fois hier très explicitement la « nécessité de prévenir les risques d’effets de second tour ». En clair, il s’agit d’une véritable déclaration de combat contre tous les salariés qui exigent aujourd’hui avec leurs syndicats de vraies hausses de salaires pour compenser les fortes pertes de pouvoir d’achat enregistrées dans la dernière période. Et cela bien que l’actuel regain d’inflation soit essentiellement le produit de la crise financière de ces derniers mois et qu’elle ait été alimentée en grande partie par… les interventions de la BCE elle-même.
L’institut d’émission européen tout comme la FED, son homologue états-unien, ont déversé en effet, depuis l’an dernier, des centaines de milliards d’euros de liquidités sur les marchés pour venir au secours des banques, des fonds de pension et autres fonds spéculatifs touchés par la crise des subprimes. Ces crédits bon marché leur ont fourni les moyens de se « remplumer » rapidement en jetant leur dévolu sur le pétrole et les matières premières. Ce qui a produit l’effet chic et choc que l’on connaît sur les cours. Et l’actuelle flambée des prix apparaît ainsi pour ce qu’elle est : la conséquence très directe d’un recyclage, via les banques centrales, de la bulle spéculative qui s’est accumulée depuis le début des années 2000 sur l’immobilier des États-Unis et de nombreux autres pays, vers les matières premières.
À dire vrai cependant un maintien ou une baisse des taux n’auraient sans doute, dans les circonstances actuelles, guère d’effet plus positif pour l’économie européenne, un éventuel crédit moins cher bénéficiant vraisemblablement d’abord aux opérations spéculatives bien d’avantage qu’à l’investissement productif. Les moyens de régulation monétaire classiques apparaissent ainsi bien désarmés : une augmentation des taux est catastrophique mais une baisse du loyer de l’argent pourrait avoir des effets tout aussi terribles.
D’où la nécessité d’avancer une logique monétaire radicalement différente qui permette de commencer à faire reculer la tumeur financière qui mine la santé économique de la planète tout en fournissant aux entreprises les moyens d’accéder à des crédits nouveaux pour toutes leurs activités vraiment utiles à la société (emploi, formation, recherche). Cette idée d’un crédit sélectif, très bon marché, quand il favorise les investissements productifs, et dissuasif, quand il sert au contraire à des opérations purement financières, est avancée de longue date par les économistes communistes.
La mise en oeuvre d’une innovation de ce type apparaît plus urgente que jamais. En dernier ressort ce sont les salariés eux-mêmes, ces « cochons de payants » à qui la BCE présente la facture de la crise financière, qui peuvent avoir le dernier mot, en s’emparant de ce dossier crucial dans leurs luttes pour le développement de l’emploi ou l’amélioration du pouvoir d’achat.
Bruno Odent