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3 abr 2008

FMI: DOMINIQUE STRAUSS KHAN

e directeur général du Fonds monétaire international livre son analyse de la crise actuelle.

LE FIGARO. La Banque centrale européenne (BCE) et la Fed font face à leurs urgences respectives. Pour l'une, c'est la lutte contre l'inflation. Pour l'autre, c'est la lutte contre la crise financière et le risque de récession. Résultat, leurs politiques de taux divergent. Cela n'aggrave-t-il pas les déséquilibres ?

Dominique STRAUSS-KAHN. La BCE et la Fed font bien leur travail pour répondre à la crise de liquidité. Elles le font différemment. Traditionnellement la Fed est plus inquiète du ralentissement de l'activité. En Europe on est plus inquiet de la montée de l'inflation. Parfois cela peut conduire à des appréciations différentes. Mais les deux risques existent de chaque côté, avec des pondérations différentes.

Cette crise qui a commencé comme une crise de liquidité. Mais elle devient une crise de solvabilité. Au delà de la fourniture nécessaire et bien faite de liquidités au marché, il faut d'autres axes de politique. L'un doit être de soutenir l'activité. C'est pourquoi j'ai déjà appelé à Davos il ya deux mois les pays qui ont de la marge de manoeuvre fiscale à soutenir la demande. L'autre axe est d'attaquer le problème de fond: les mauvaises créances et en particulier les «subprime» détenues par les banques. Il faut que ces dernières recommencent à se prêter les unes aux autres. C'est là que le FMI intervient. Le problème est global. Il faut une solution globale. Nous y travaillons énormément.

Faut-il organiser un sauvetage national des banques ou des emprunteurs aux États-Unis, comme l'envisagent certains ?
On y réfléchit ici au FMI comme ailleurs. Le problème est qu'il n'y a pas de raison d'exonérer les actionnaires des banques. Il faut que ceux qui sont à l'origine de la crise en supportent une part du coût. Mais il y a des précédents même s'ils ne sont pas de même nature. Notamment en France, au moment du sauvetage du Crédit Lyonnais. On avait séparé les bons actifs bancaires des mauvais. Cette méthode est bien connue. L'appliquer à l'échelle d'un pays est beaucoup plus difficile. Et l'appliquer à l'ensemble de la planète serait encore plus compliqué. Certains y réfléchissent. D'une manière ou d'une autre il faudrait bien permettre aux banques de repartir de l'avant pour débloquer un système aujourd'hui totalement gelé.

Mais ce genre de réflexion suppose que l'on fasse fi de l'aléa moral. C'est-à-dire que l'on accepte de «nationaliser» les erreurs de banques privées ?
La thèse de l'aléa moral est toujours très intéressante. Mais il y a un moment où les risques pour l'ensemble de l'économie sont tels qu'il faut prendre des mesures. Cela ne veut pas dire que la plus grande partie du coût des pertes ne soit pas assumée par les responsables des erreurs d'appréciation du risque de crédit. C'est d'ailleurs pour cela que la Fed est intervenue dans l'affaire Bear Stearns. Si elle ne l'avait pas fait, les conséquences en chaîne auraient été considérables.

En attendant, la divergence de politique de taux entre la Fed et la BCE fait plonger le dollar. Combien de temps cette situation peut-elle durer ?
On est dans une situation où des monnaies sont clairement sous-évaluées : le yen, le yuan par exemple. D'autres sont sur le côté fort comme l'euro. D'autres sont en gros au niveau d'équilibre, comme le dollar. Mais le système est globalement très déséquilibré. Pour corriger ces déséquilibres, le besoin de consultations multilatérales est grand. Les réunions de printemps du FMI dans quelques jours à Washington y seront en partie consacrées.

Depuis des années, le FMI souligne que les États-Unis souffrent d'une insuffisance d'épargne et donc d'une consommation trop dépendante de l'endettement. Or, aujourd'hui, pour éviter une catastrophe, Washington cherche à relancer la consommation et à décourager l'épargne. Ces solutions ne vont-elles pas aggraver le mal ?

C'est la contradiction fréquente en politique économique entre l'objectif de court terme et l'objectif de long terme. Mais il est compréhensible que les autorités américaines soutiennent la demande à court terme. Pour le moment, la consommation se tient à peu près. Les prévisions que nous allons publier dans quelques jours ne sont pas très bonnes. Nous allons réviser à la baisse nos estimations de janvier. Si la crise venait à atteindre le crédit à la consommation, les conséquences sur l'activité seraient considérables. Le FMI travaille sur ce qui nous paraît aujourd'hui le plus important, c'est-à-dire les canaux de transmission entre la sphère financière et la sphère réelle.

Pour l'instant, on observe un certain découplage entre la crise américaine et la situation dans les autres pays. Cela peut-il durer ?
Je ne crois pas à la thèse du découplage. Personne n'est immunisé. Je parle plutôt de décalage dans le temps. Déjà nos prévisions vont incorporer un recul des perspectives de croissance des pays émergents. Notamment pour la Chine et l'Inde, dont les taux de croissance restent très élevés, mais qui seront néanmoins affectés par la crise.Dans la zone euro, la situation n'est pas aussi tendue qu'aux États-Unis. Mais la transmission de la crise financière au secteur réel commence à être sensible.

Les pays riches ont fini par accepter que les pays émergents soient un peu mieux représentés dans le capital du FMI. Est-ce suffisant pour renforcer sa légitimité ?
C'est un formidable succès pour notre conseil d'administration que nous soyons sur le point de clore ce dossier des quotes-parts. L'affaire traîne depuis 1997. À l'époque, les principaux pays membres du Fonds monétaire international ont recommencé à parler d'augmenter le poids dans l'actionnariat de l'organisation de pays émergents sous-représentés. Il y a deux ans, quatre pays ont bénéficié d'augmentations (Chine, Corée Mexique, Turquie), mais il fallait aller plus loin.Les pays les plus riches qui disposent d'une majorité de blocage hésitaient à perdre une part relative de leur influence. On a trouvé une solution grâce à une formule qui sera utilisée tous les cinq ans et doit permettre de faire bouger les quotes-parts en faveur des pays les plus pauvres. La première phase s'applique immédiatement. Certes, elle ne fait pas tout le chemin. Faire bouger les choses en une fois massivement n'aurait pas été possible.

Comment mesurer le progrès réalisé dans l'immédiat ?
En gros aujourd'hui les pays riches avant cette réforme disposaient de 60% des quotes-parts et les pays moins riches, 40%. Si l'on voulait aboutir à 50-50, il faudrait donc une réallocation de 10%. Avec la solution trouvée aujourd'hui on fait presque un tiers de ce chemin. Je trouve que c'est un pas considérable. D'ailleurs moins de 5% des pays membres ont aujourd'hui pris position contre cette formule. L'Inde, comme le Brésil, le Mexique, comme la Corée y sont favorables. C'est bien que cette réforme sert leurs intérêts. Même l'Afrique du sud qui perd un peu de ses quotes-parts soutient cette approche, car ce pays sait que la dynamique crée va à terme le faire grimper à nouveau.Autre point important: deux groupes de vingt trois pays africains voient par ailleurs leurs moyens de fonctionnement augmenter. C'est un bon début de réforme de la gouvernance du Fonds.

Concrètement qu'est-ce que cela va changer vraiment au fonctionnement du FMI. En quoi la voix de l'Inde ou du Brésil par exemple sera mieux entendue ?
Vous avez raison. La réforme ne s'arrête pas aux quotes-parts. Il faut changer aussi les pratiques du FMI. Je suis en train de le mettre en oeuvre. C'est pour cela que des pays d'Amérique latine tentés de s'éloigner du Fonds depuis la crise argentine sont en train de revenir vers nous. Des pays d'Asie aussi sentent qu'on est en train de leur redonner une voix dans le fonctionnement de l'organisation.

Un exemple ?
Le président brésilien Lula me disait l'autre jour: «Nous sommes prêts à aider le Nicaragua pour l'aider à se doter de centrales électriques...mais il faudrait que le FMI accepte que l'endettement du Nicaragua augmente». Nous avons donc travaillé à la mise en place d'une procédure qui permet à des aides étrangères au Fonds, venant directement d'un pays, d'être prises en compte par le programme du FMI.
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