Pourquoi la BCE déteste l’inflation
La décision de la Banque Centrale Européenne de relever ses taux directeurs début juillet a provoqué de vifs débats. Alors que certains plaident pour une baisse des taux, l’autorité monétaire européenne met en avant les risques de dérapage inflationniste. Mais au fait, pourquoi l’inflation est-elle si grave pour l’économie ?
L’inflation est de retour. En mai dernier, selon l’Insee, les prix ont augmenté de 3,3% (sur un an) en France, soit la hausse la plus importante depuis juillet 1991. Dans la zone euro, l’inflation a même atteint 4% en juin. Comme on le voit, le mouvement s’accélère depuis le début 2008. Une flambée des prix qui a finalement incité la Banque Centrale Européenne (BCE) à intervenir début juillet. Pour casser la spirale inflationniste, l’autorité monétaire de Francfort a relevé de 0,25% son taux directeur qui influence directement les taux d’intérêt à court terme. Son objectif ? Réduire la demande de crédit et donc la consommation, ce qui aurait pour effet de ralentir l’économie et de relâcher les tensions sur les prix. En prenant le problème à bras-le-corps, la BCE entend également envoyer un signal fort aux consommateurs et aux salariés afin qu’ils n’anticipent pas une accélération de l’inflation et n’adaptent leurs comportements en conséquence. Dans ce registre, la BCE craint principalement les revendications salariales. Les banquiers centraux gardent en mémoire la spirale inflationniste des années 1970 : les salaires, indexés sur les prix, augmentaient pour compenser l’inflation, alourdissaient les coûts de production des entreprises, contraintes à leur tour de majorer leurs prix de vente… et d’alimenter l’inflation. Un véritable cercle vicieux.
Déstabilisation de l’économie
En effet, l’inflation déstabilise l’économie. Elle pèse très directement sur le pouvoir d’achat des ménages comme en témoigne la hausse récente des prix du pétrole et des produits alimentaires. Elle est pénalisante pour la bourse car elle rend très difficile l’évaluation des actifs des entreprises. Enfin, elle s’accompagne généralement d’une hausse des taux d’intérêt, elle-même problématique : au loyer « normal » de l’argent (la rémunération de celui qui prête) s’ajoute une « prime d’inflation » puisque le prêteur risque d’être remboursé en monnaie de singe. Et si cette hausse des taux n’est pas suffisante pour compenser l’envolée des prix (on parle alors de « taux réels négatifs »), les épargnants s’appauvrissent : la rémunération de leurs placements, même dopée par des taux plus élevés, ne suffit plus à couvrir la perte de pouvoir d’achat de leur capital, érodé par l’inflation. Bref, pour beaucoup, l’inflation est considérée comme le mal absolu en économie.
Pour conjurer ce mal, la BCE n’a guère d’autre arme à sa disposition que de remonter les taux d’intérêt très tôt, avant que la spirale inflationniste ne s’enclenche. Elle s’inspire ainsi des pratiques de la banque centrale allemande après le choc pétrolier des années 1970. Celle-ci avait été une des rares à relever très tôt ses taux directeurs pour contrer les anticipations inflationnistes. Une politique payante : l’Allemagne avait mieux que les autres pays réussi à éviter le dérapage des prix.
Risques pour la croissance
Mais les détracteurs de la BCE estiment ce geste inutile. Ils soulignent que l’inflation provient surtout de la hausse du prix du pétrole et des matières premières contre laquelle la banque centrale ne peut rien. Or, elle ne s’est guère diffusée aux autres secteurs de l’économie. Pire, cette hausse de taux intervient à un moment où la croissance ralentit déjà très fortement en Europe. Du coup, la conjoncture se charge, elle-même, de ralentir la demande et dissuade les salariés de revendiquer des hausses de salaire. Selon certains économistes, il aurait même été préférable de baisser les taux d’intérêt dans la zone euro afin d’affaiblir la monnaie européenne. En effet, si les placements en euros sont moins rémunérés, les investisseurs se reporteront spontanément sur les placements en dollars. Le billet vert aura alors tendance à s’apprécier par rapport à la monnaie européenne, ce qui rendra les produits européens plus compétitifs sur le marché mondial et limitera la hausse du pétrole. Car aujourd’hui, on remarque que le cours du baril se calme quand le dollar monte et s’envole quand le billet vert s’affaiblit.
L’épargne mieux rémunérée
Toutefois, le geste de la BCE peut réjouir les épargnants car il assure à leurs placements de court terme un rendement pour l’instant encore supérieur à l’inflation, et préserve donc le pouvoir d’achat de leur capital. Il contribue, par exemple, à la hausse probable des taux du Livret A et du Livret développement durable (indexés également sur l’inflation) au 1er août prochain, soutient les performances des sicav monétaires, directement liées au niveau des taux court terme sur les marchés financiers. En revanche, la hausse du taux directeur de la BCE est pénalisante pour les emprunteurs. Ceux qui ont déjà souscrit des prêts révisables indexés sur ces taux risquent en effet de voir grimper un peu plus le coût de leurs remboursements. Et ceux qui sollicitent aujourd’hui un crédit, même à taux fixe, le paient plus cher. Les prêts à taux fixe suivent en effet les taux à long terme, qui sont aussi montés ces derniers mois en raison de l’inflation et de la réaction de la BCE.